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Un jeune homme immature
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Un jeune homme immature
14 février 2009

Tristan Tzara m'empêche de dormir

Du raffut sous ma fenêtre me réveille. J'ai mal au crâne. Le réveil digital indique qu'il n'est que 7h.
"Naongroumbl" je lâche en me frottant les yeux.
Les chiffres rouge révèlent la pochette de Sticky Fingers, placardée au dessus de ma table de chevet. La braguette de Warhol scintille, m'envoyant des rayons laser dans la gueule.
Je replonge la tête dans mon oreiller mais ne parviens pas à me rendormir car Tristan Tzara dégueule un poème juste en bas de chez moi.
Je m'extrais des draps, me prends les pieds dans un futal que je traîne jusque la fenêtre. On est samedi, comment peut-on oser me détruire cette grasse matinée?
J'ouvre les volets et avance la tête. Le jour commence tout juste à se pointer. La voix de Tristan Tzara provient d'une voiture garée au pied de mon immeuble. Je reconnais les paroles de Pour compte, le poème a été mis en boucle. "Le feu lèche les miroirs, les museaux des endormies brûlent sous le regard fendu dans l'orange du matin."

Les vitres de la bagnole sont grandes ouvertes, de la fumée s'en échappe. Côté conducteur, les jambes d'un type dépassent par la fenêtre. Il porte des Beatle-boots noires, de longues chaussettes à rayures rouges ainsi qu'un pantalon cigarette. Dans l'obscurité sur la banquette arrière, je remarque une gratte demi-caisse, un synthétiseur Bontempi et un sac de sport Coq Sportif débordant de câbles.
"STFU" je braille en balançant une godasse, qui s'écrase sur le toit de la Merco. Le choc contre la tôle est agréable à entendre. Le type coupe la chique de Tristan Tzara.
J'ignore les insanités qu'il me lance et concentre mon regard sur le grand écran publicitaire en face. Michel Poiccard dévale les routes de campagne au volant de son automobile. Il ne s'arrête pas pour prendre les jeunes filles qui font de l'auto-stop. Le son du film a été coupé, mais j'ai dû le voir un milliard de fois alors je récite les dialogues par coeur.
J'approche une chaise, allume ma première cigarette de la journée et reste un moment contempler A bout de souffle, accoudé au rebord de la fenêtre.
Dans l'appartement voisin, un môme récite son poème d'Apollinaire à gorge déployée. De la vaisselle valse. Son père semble lui hurler de se calmer mais le mioche n'en fait qu'à sa tête. Une gifle tombe. Une gamine se met à chialer, la mère beugle à son mari de se tirer d'ici avec ses bouteilles de rouge.

La rue s'assombrit soudain. M'attendant à un épais nuage gorgé de pluie, je lève la tête mais je n'aperçois qu'un groupe d'hirondelles transportant une réplique gigantesque de Ceci n'est pas une pipe.
Alors que je verse de l'eau bouillante dans une tasse, mon radio-réveil se met en marche. Je sursaute en foutant de la flotte partout car le volume est au maximum pour plus d'efficacité. Quelques gouttes atterrissent sur mes pieds nus, je hurle à la mort.  Un type sur France Culture m'annonce qu'il est 8h30, puis des gens se mettent à raconter l'histoire de la Nouvelle Revue Française  alors je m'assieds sur le bord de mon lit et écoute attentivement en me massant les pieds. Face à moi, un portrait de John Cage me salue en souriant dans un cadre mal fixé.
"Te fous pas de ma gueule" je lui lance.

Je glisse un sachet de Earl Grey ainsi qu'une cuillère couverte de miel dans ma tasse d'eau bouillante, et je me mets à touiller en marchant vers la fenêtre.
Sur le toit de l'immeuble d'en face, un individu déguisé en Denver le dernier dinosaure sautille sur un trampoline en écoutant The Gift du Velvet Underground. J'apprécie la souplesse de Denver en trempant mes lèvres dans le thé mielleux.
Une tâche sombre avance dans l'horizon. Je plisse les yeux et devine un dirigeable en forme de Game-Boy qui passe au loin parmi les nuages. Après une période de fascination intense mon attention se détourne vers une fenêtre dans l'immeuble d'en face, où une jeune femme aux seins nus se filme avec une super 8 devant le miroir de sa salle de bain. La nana me fait rire aux éclats lorsqu'elle commence à se peindre le visage en bleu, mais elle m'effraie quand elle se ceinture de dynamites. Juste au moment où mes mains recouvrent mes yeux, son zipo allume la mèche.
Une superbe explosion retentit, faisant voler les vitres de la salle de bain, une brosse à dents, un pot de peinture bleue, des tubes de shampooing, de dentifrice, des gants de toilettes en flamme, un morceau de sein.
"Quel gâchis... une si jolie femme" je lâche en baillant.
Un pan du mur s'est effondré, me dévoilant l'intérieur de son salon. Une énorme affiche de Richard Hamilton's Just what is it that makes today's homes so different, so appealing? est placardée au dessus du canapé, sur lequel un type lit son journal les jambes croisées. De l'épaisse fumée noire stagne un peu partout dans l'appartement.
Un groupe de japonais en cravate apparaît soudainement dans le salon. Ils sont tous munis d'un Polaroïd qui pend autour de leur cou. Après un temps, ils se mettent à mitrailler l'homme au journal, m'offrant un ballet de flashs plutôt réussi. J'applaudis vivement, les japonais me saluent et s'en vont.

Un peu plus loin sur ma gauche, au sommet du gratte-ciel en construction, des types juchés sur une poutre m'intriguent. En les observant à l'aide de jumelles offertes par ma tante Francine à Noël 94, je remarque qu'ils sont onze, dévorant leur casse-croûte à plusieurs dizaine de mètres du sol. Je prends alors conscience que j'ai extrêmement faim. Au pied de l'immeuble d'en face, un groupe d'enfants s'amuse avec les morceaux de la jeune femme aux seins nus qui a explosé dans sa salle de bain. Une mère de famille leur dit que c'est pas propre de ramasser les choses qui traînent sur les trottoirs. Un des gamins qui tient un gros ballon rouge ressemble étrangement à Antoine Doinel, alors le gimmick piano de Jean Constantin me rentre dans la tête.
J'engloutis mes céréales en relisant Le portrait de Dorian Gray, envoûté.
"Le lendemain matin à neuf heures, son domestique entra avec une tasse de chocolat sur un plateau et tira les jalousies" je déclame, un pied sur la chaise, une main calée sur la hanche. "Dorian dormait paisiblement sur le côté droit, la joue appuyée sur une main. On eût dit un adolescent fatigué par le jeu ou l’étude"
A ces mots, des frissons me dressent les poils et mon sexe se gonfle, semblant vouloir déchirer mon caleçon. 
France Culture diffuse un morceau de Joy Division. Je lance le bouquin en l'air pour aller danser sur mon lit, aliéné par le rythme de Transmission.

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