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Un jeune homme immature
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Un jeune homme immature
25 novembre 2008

Madame Thérèse

Madame Thérèse ne quittait jamais sa vieille valise. Elle était magnifique. Une petite valise en cuir marron. Toute usée, avec des craquelures dans les angles. Madame Thérèse avait cette valise depuis ses 11 ans. Offerte par ses parents pour son certificat d'études.

Elle était gentille avec nous madame Thérèse. Elle habitait la petite maison à côté de la notre, au bord de la grand route qui menait à la ville. Quand elle en était encore capable, madame Thérèse venait nous garder moi et ma soeur. Le mercredi elle nous emmenait en ville, car c'était jour de marché. Toujours en trainant sa petite valise en cuir marron toute usée. Un jour madame Thérèse m'a acheté une "casquette de grand-père" marron et ma soeur a pleuré parce qu'elle était jalouse, du coup madame Thérèse lui a acheté une poupée avec une robe écossaise. J'aimais bien cette poupée. 
A l'école, tout le monde se moquait de moi quand je mettais ma "casquette de grand-père". On me disait "Hey espèce de Papy!" mais moi je m'en foutais parce que Tintin a la même dans l'Oreille cassée. Tintin c'était mon héros, je rêvais de devenir reporter comme lui. J'écrivais de faux articles de journal avec une machine à écrire offerte par ma tante. Quelquefois ma mère me faisait une mèche avec du gel ou ma grand-mère faisait des plis dans le bas de mes pantalons pour qu'ils ressemblent à des pantalons de golf.
Après j'ai fait la collection des "casquettes de grand-père" alors madame Thérèse me disait "Attention, ne les porte pas trop souvent ou tu vas perdre tes cheveux de bonne heure!". Ma mère m'a expliqué ensuite que le mari de madame Thérèse avait toujours porté une casquette et qu'apparemment ça avait fait tomber ses cheveux.
On allait aussi à la boucherie avec madame Thérèse, elle était amie avec le boucher. Il nous donnait du saucisson alors on l'aimait bien ma soeur et moi. Madame Thérèse nous achetait une peluche ou un livre chez l'épicier. Elle connaissait tout le monde en ville, les gens disaient "Bonjour madame Thérèse! Beau temps aujourd'hui n'est-ce pas?" Et madame Thérèse répondait toujours en souriant. Elle marchait lentement alors ma soeur et moi on courait devant elle en rigolant, ça la faisait râler. Parfois on lui donnait du mal, on pouvait être très vilains avec madame Thérèse.

La grand route qui déchirait les champs autours de chez nous était dangereuse, les gens roulaient comme des dingues en écrasant les renards ou les lapins. On en trouvait plein déchiquetés sur le bord, ça faisait pleurer ma soeur. Un jour, avec ma mère on a recueilli un petit hérisson malade et on lui a donné du lait. Le soir il allait mieux alors il est parti, mais le lendemain je l'ai retrouvé coupé en deux au milieu de la grand route. Avec mes baskets à scratch je l'ai poussé dans le faussé et recouvert de terre pour pas que ma soeur le trouve. Elle aurait encore pleuré fort et fait des cauchemars après.
Quand elle venait nous garder à la maison, madame Thérèse venait toujours avec sa petite valise marron toute usée. Ma soeur et moi on était vraiment intrigué par cette petite valise. Madame Thérèse la rangeait dans l'entrée, près du paillasson et des chaussures.
Madame Thérèse attachait nos vélos avec des antivols pour pas qu'on s'enfuit et qu'on se tue contre une voiture comme le hérisson. Madame Thérèse était très anxieuse, elle voulait nous garder sains et saufs. Ma soeur et moi,
avec la scie à métaux de mon père on tentait de découper les antivols que madame Thérèse attachait aux vélos. On y arrivait pas, c'étaient des antivols trop costaud.
On s'amusait à ramper sur le sol avec des chiffons. On glissait jusque dans la cuisine, sous la table où madame Thérèse lisait le journal, et on regardait sa culotte. C'était drôle.
C'était le mercredi midi qu'on mangeait des crêpes avec madame Thérèse. Elle amenait son billig à la maison et on faisait couler la pâte dessus. Moi j'avais du mal à faire des crêpes rondes. Ma soeur se débrouillait plutôt bien alors j'étais un peu jaloux, mais pas trop parce que y'avait plein de choses que je savais faire et que ma soeur arrivait pas à faire, comme enfiler son manteau toute seul. Le matin avant de partir de la maison elle devait l'étaler par terre, s'agenouiller du côté de la capuche et rentrer ses bras dans les manches. Ensuite elle se levait et faisait passer le manteau par dessus sa tête. Moi je riait en la regardant pendant que madame Thérèse râlait car on allait être en retard à l'école.

Le samedi soir quand nos parents sortaient, on regardait la télé avec madame Thérèse et elle nous faisait du tilleul avec du miel. Ma soeur aimait pas trop le tilleul alors elle suçait des cuillères dégoulinantes de miel.
Sinon, ça arrivait aussi que mes parents nous amène chez madame Thérèse. C'était chouette d'aller là-bas. Sa maison était très ancienne, ça sentait le vieux. Le plancher grinçait quand on courait dans les couloirs. Avec ma soeur, on aimait bien se frotter aux murs parce qu'ils étaient recouverts de moquette grise. Madame Thérèse avait un vieux chat noir. Augustin... Il était pas très marrant Augustin, il miaulait jamais. Madame Thérèse nous criait "N'embêtez pas Augustin ou alors il va vous griffer!" On aurait aimé l'embêter ma soeur et moi, mais il partait tout le temps en courant quand on s'approchait de lui.
Pour le goûter, madame Thérèse nous donnait des craquelins et des bouteilles d'Orangina qu'on secouait comme des malades pour mélanger la pulpe. Au début on n'aimait pas les craquelins mais après on adorait ça et on en voulait tout le temps.
Chez madame Thérèse y'avait un garage. Il faisait froid dans le garage et on allait jouer avec du lubrifiant, de l'huile de moteur, du charbon, de la graisse et toutes sortes de cochonneries qu'on trouvait dans les placards. On faisait nos mixtures dans des bassines et ça pouvait donner des trucs vraiment dégueulasses. Le soir quand ma mère venait nous chercher on se faisait engueuler parce que nos fringues étaient crados.
On montait souvent dans le grenier de madame Thérèse parce qu'on y trouvait des merveilles. Des toiles d'araignées pendaient sur les poutres, je soufflait dessus pour faire courir les araignées et ma soeur se mettait à pleurer. De vieilles frusques étaient entassées dans des malles. Forcément, on se déguisait avec. J'aimais bien enfiler cette veste remplie de médailles qui avait jadis appartenu au mari de madame Thérèse. On n'a jamais connu ce type qu'en photos. Il avait été marin pendant la guerre. Ma soeur en était tombé amoureuse, il était très beau, toujours élégant. Surtout sur ces photos où on le voit sur des bateaux vêtu de son costume militaire. Dans une malle j'avais retrouvé un képi et un béret. Je me coiffais surtout du béret à cause de son gros pompon rouge.
Dans la pénombre du grenier, ma soeur faisait souvent la coquette. Elle enfilait cette vieille robe beaucoup trop grande pour elle. Une vieille robe mauve en velours épais, toute froissée. Je riait en voyant ma soeur ensevelie sous les plis. Madame Thérèse avait reçu cette robe d'un couple de bourgeois
pour qui elle avait travaillé comme fille au pair à Londres.
J'ai passé des heures à lire les vieux albums de Mickey et Donald ou des 4 as qui trainaient sur le plancher du grenier. Ils avaient appartenus aux enfants de madame Thérèse, partis depuis des lustres. Y'avait aussi un exemplaire miteux de Moby Dick que j'aimais surtout feuilleter pour recopier les dessins de la "grosse baleine" qui était en fait un gros cachalot.
Au départ il y avait une chose qui me faisait peur chez madame Thérèse: un poster géant de Gilles Servat, placardé dans l'ancienne chambre de son fils, en face du lit. On y dormait parfois ma soeur et moi, mais très rarement, uniquement quand mes parents faisaient la noce. Les premiers temps je faisais des cauchemars à cause de Gilles Servat qui me regardait avec sa grosse barbe pendant que je dormais. Puis je m'y suis habitué. Sur un autre mur, les footbaleurs argentins posaient pour moi. Eux je les aimais bien car mon père était dans un club de foot. Sur le grand lit, ma soeur et moi on jouait avec un jeu des 7 familles Disney récupéré dans le grenier.
Derrière la porte, y'avait un pot de chambre. "Uniquement pour les envies pressantes" nous répétait madame Thérèse. Comme ma soeur et moi on adorait faire pipi dans le pot, ça sentait fort dans la chambre
.
Avant de dormir on aimait bien aller en douce jusqu'à la porte de madame Thérèse pour regarder par la serrure. Pendant qu'elle se déshabillait pour mettre sa chemise de nuit, on voyait ses culottes immenses et ses seins fripés qui pendaient.

Quand madame Thérèse est morte on la voyait plus beaucoup car on avait grandi et qu'elle avait perdu un peu la tête. Une dame venait lui faire la toilette et la cuisine dans sa vieille maison car elle voulait pas aller à la maison de retraite.

On a enterré madame Thérèse avec sa petite valise marron toute usée. Madame Thérèse avait 86 ans, sa petite valise en avait 75. Souvent je repense aux culottes immenses que mettait madame Thérèse.


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