L'enfoiré aux Wayfarer

Gustav passe la 5ème. On traverse des bleds pourris à toute berzingue. Gustav zig-zag sur la route en gueulant comme un dingue. On est déjà bien défoncé. Le poste hurle un cd de Joy Division, moi j'suis à côté, avachi dans le fauteuil cradingue de cette foutue tire, les pieds dans la boîte à gants. J'ai la tête plongé dans une brochure vantant les mérites d'un monte-escalier pour handicapés. Le soleil s'apprète à plonger derrière la ligne d'horizon. Gustav parvient à éviter un lapin en rasant le talus. On s'arrête à plusieurs supérettes. Elles sont toutes fermées. Ca emmerde vraiment Gustav parce qu'on va être à court de gnôle. Moi je tète les dernières gouttes d'une bouteille de whiskey. Gustav s'énerve et commence à hurler plus fort qu'avant. Il manque de percuter un môme et son paternel qui marchent le long de la route.
"Là-bas y'aura sûrement tout ce qu'il faut Gus. T'en fais pas mec..." je lui dis.
Mais Gus me semble bizarre tout à coup. Il ne bouge plus et fixe le ciel. Il n'y a plus de pilote. La caisse vire sur la gauche alors j'empoigne le volant en donnant un coup de coude dans la tronche à Gustav.
"T'as raison" il finit par dire, et il éclate de rire.
J'allume une clope et m'amuse avec une lampe torche. Dehors il y a des champs partout. Gustav trouve un PMU ouvert. Il s'arrête. Je l'observe entrer. Un immense raffut émane du rade. Les habitués sont avachis sur leur verre de rouge. Ils s'arrêtent tous de brailler en voyant Gustav. Dans le rétroviseur, un chat longe l'église. Il avance difficilement en s'arrêtant pour lécher une patte blessée. Le bourg est désert. Le silence est déprimant. Gustav finit par arriver avec un paquet de blondes et deux bières. Il les débouche, m'en tend une et démarre la 306.
"Allez on se tire de ce bled de merde."
Les conversations reprennent dans le PMU. Des poivrots nous regarde partir par la fenêtre.

Quand on arrive à la party, Tom et Frank nous accueillent.
"Hey les mecs, une p'tite trace ça vous tente?"
"Ok Tom c'est parti" dit Gus.
On s'enfile un rail de coke sur le capot de la caisse. La coke est dégueulasse alors on se casse vers une grange. Frank et Gus font la grimace.
Il y a déjà plein de monde dans la grange. Jim me salue en se marrant et il me pique mon chapeau. Des types installent des amplis sur un grand tapis. Les gens semblent surexcités, ça bouge de partout et ça parle fort. Je sort faire le tour de la propriété. Le jardin est immense, y'a un manoir de je ne sais quel siècle planté au milieu. Je ne sais même pas à qui ça appartient.
"Putain ils ont de la thune ici" gueule Gustav en urinant contre une tire garée dans la cour.
On colle notre front à une énorme baie vitrée pour voir à quoi ressemble le mobilier mais il fait trop sombre, alors je balance ma bière vide sur la pelouse et on retourne dans la grange. Je repère quelques nanas sympas.
"Venez les gars y'a tout ce qu'il faut ici" nous dit un type en enroulant son bras derrière mon épaule. Ce mec porte une chemise ouverte et des santiags. Ca doit être le proprio.
On le suit au fond de la grange. Il débouche une bouteille de bon vin rouge et nous sert.
"Vous pouvez venir vous servir quand vous voulez" il lâche en montrant une étagère pleine de boutanches de whiskey, vin et vodka.
"Merci mec, t'es un prince" je lui dis et on s'enfile quelques verres de vin.

Un groupe commence à jouer. Je m'approche, me mêle aux gens. Ce groupe n'a pas de batteur. C'est un type planté derrière son Macintoch qui gère la rythmique en appuyant sur les touches de son clavier. Leur son est pas mal. A un moment le chanteur empoigne une gratte. Je reste bouche bée en le voyant retirer sa prothèse d'avant bras. Il se met à frotter son moignon contre les cordes. C'est étrange, j'me sens mal à l'aise, des frissons me parcourent la nuque. Je finis de regarder le concert raide comme un piquet, sans pouvoir décoler les yeux du moignon. Les gens semblent moins surpris que moi, ils dansent comme des acharnés.
Je repère un frigo près de l'entrée. Je l'ouvre. Il est rempli de bières alors j'en fourre dans mes poches. Un chien traverse la pièce. Je le caresse et vais voir une nana assise sur un banc. Elle est belle. Elle a les cheveux courts et porte un Tee-Shirt rayé.
"Tu ressembles à Jean Seberg dans A bout de souffle" je lui dit.
Elle sourrit. Je lui déballe quelques conneries sur Godard et me rend compte que j'ai énormément envie de l'embrasser. Je passe mon bras derrière son dos et lui tape sur l'épaule. Sa tête pivote vers la droite. Pendant qu'elle a la tête tournée je m'approche de son visage. Quand elle se retourne vers moi, ses lèvres rencontrent les miennes.
"J'ai piqué ça à Brialy. Il le fait dans Tous les garçons s'appellent Patrick, un court de Godard."
Là un type avec des Wayfarer se ramène et demande à Jean Seberg si je l'emmerde. Elle lui fait signe que tout va bien alors il s'en va après avoir écraser sa bouche contre la sienne.
"C'est mon copain" elle dit, mais je me lève pour aller me servir un verre de Whiskey.

"Ce type est un enfoiré" je me dit. "Il a vraiment l'air d'un naze."
Je trouve Gustav près de l'étagère divine.
"J'étais sûr de te trouver là" je lui dit, mais il est en pleine discussion mouvementée avec Tom.
"Ce connard viens de me dire que Marissa crève à la fin de la saison 3!" il hurle en me voyant.
"De quoi tu parles?" je demandes
"De the OC bordel!"
Je me marre en tapant Tom dans le dos.
"Putain j'ai même pas fini de mater la saison 2!"
"Enfoiré" je dis à Tom. "Tu véras Gustav, tu vas être déçu. Ils ont encore foutu Hallelujah parce que c'est triste. Mais là c'est une nana qui chante comme une débile."
"Bon j'pense qu'on va pas tarder à commencer" dit Tom, et il se casse avec son saxo.
Je descends quelques verres avec Gustav en parlant de the OC et on retourne se mêler à la foule. Tom et son groupe ont commencé à jouer. Ils crachent leur putain de beat garage sixties, ça swing un max. Les gens dansent comme des malades, la grange s'est transformée en Dance Floor, la température monte. Ca sent bon l'herbe et la sueur. Les torses dégoulinent, les nanas se déshabillent. Je me fais une trace avec une gonzesse sur une chaise en plastique et vais au frigo me chercher une bière. Je joue un peu de tambourin avec le groupe avant de sortir prendre l'air.

Arrivé dehors je trébuche sur un type étalé dans les graviers, ça m'agace alors je lui shoote dans le buffet et m'allume une clope. J'suis vraiment très arraché, j'ai du mal à me déplacer correctement. Comme j'ai soudain une énorme envie de pisser, je traîne mes godasses jusqu'au jardin et me soulage contre un arbre. Là j'entends des petits gémissements. Ceux d'une nana qui se fait baiser. Je m'approche doucement, m'allonge dans l'herbe. Les gémissements s'intensifient, maintenant le type s'y met.
"T'as pas entendu quelque chose?"
"Mais nan vas-y continue..."
Je reconnais la voix de la nana. C'est la fille au Tee-Shirt rayé.
"Y'a quelqu'un?" demande l'enfoiré aux Wayfarer.
J'ai envie de répondre "ouaip", mais finalement je bois une gorgée de bière et tend l'oreille. Mes yeux s'habituent au noir, je distingue leurs formes.
"Oh oui, anh, oumpf...aaah..oui vas y comme ça... t'arrête pas..."
"Anh, oumpf, anh, oh..."
Ils gémissent encore quelques temps et Jean Seberg se met à crier:
"J...je crois que je vais jouir...oh..."
Elle jouit très fort en tapant des pieds. Ensuite, des bruits de fringues, de braguettes, de ceintures. Ils viennent vers moi. Je fais semblant de dormir.
"Hey mec! Ca va?" le type demande.
"Il est Out" elle dit.

Je les écoute s'éloigner en riant puis je me relève, avale la fin de ma bière et retourne à la grange. J'ai vraiment les glandes contre l'enfoiré aux Wayfarer.