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Un jeune homme immature
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Un jeune homme immature
30 juillet 2008

La jolie brune en Converses.

Je me suis réveillé de bonne heure. Saleté de coq. Il m'agace à jouer le Don Juan dans son poulailler miteux. J'ouvre les volets. Le soleil entame son ascension dans un ciel cotonneux. J'apercoit la grand-mère, déjà occupée avec son jardin.
"Le lait est chaud" elle lance sans lever la tête. Je me traine jusqu'à la cuisine en usant mes chaussons. J'allume le téléviseur, me sers un bol de lait crémeux encore fumant, enduis quelques crêpes de confiture de fraise. Je m'assieds et fixe l'écran de la TV. Tom Sawyer court le long du Mississippi. Il est suivit de son ami Huck. Môme, j'ai toujours rêvé de faire l'école buissonière avec eux en marchant pieds nus.

Je prends une bouffée d'oxygène et plonge la tête dans le journal. En apnée, je survole avec dégoût les actions insensées du petit Nicolas et de ses copains, qui démontent à une vitesse folle les restes de notre république.
Je relève la tête, bois une gorgée de lait, inspire un bon coup et replonge. Des pères de famille dépourvus de raison réduisent peu à peu la poussée démographique en enfermant leurs enfants dans des voitures en plein cagnard. Les pauvres gosses souffrent: ils suffoquent, se débattent, pleurent des heures durant. En vain. Personne n'intervient. Ils finissent vidés, bouillis, calcinés, noyés dans une chaleur épouvantable, comparable à celle d'un four crématoire. Ces "pères" de pacotille pourraient aussi bien demander à leur boulanger d'enfourner les mioches avec la patte à pain. Ils gagneraient du temps. Tous les matins à l'heure où le boulanger pétrit son pain, les péres de famille feraient la queue devant les boulangeries, tenants leurs enfants par la main. Au lieu d'aller à l'école, ils passeraient au four. Je manque d'air. Je lève la tête avant de finir noyé sous les effluves d'infos répugnantes. Je coupe la télé. En fredonnant le générique de Tom Sawyer, je me rends sur le balcon. J'hume l'air qui s'engouffre dans la prairie en face. Popeye y broute tranquilement. Je siffle. Il lève doucement la tête, me regarde droit dans les yeux en ruminant, chasse une mouche d'un coup de queue, puis Popeye s'allonge. Popeye c'est le taureau. Il a mal à la patte arrière droite, alors on l'a isolé. Popeye est loin de ses amies. Sa peau se reforme sur son dos. Popeye a pelé à force d'être exposé au soleil, comme les enfants dans les voitures.
Une feuille à petits carreaux vole dans le champ. Elle tourbillone autour de Popeye et s'échappe vers la ville. L'école primaire est en face, juste derrière le bois. La porte fenêtre grince ferrière moi. Le chat montre sa tête. Il a un mulot éventré dans la gueule. Il le dépose à mes pieds en ronronnant. Il se frotte à mes mollets, contre les angles des murs et s'allonge sur le balcon ensoleillé. Je regarde un instant le rongeur agoniser en remuant les pattes, puis je le jette dans la prairie.
"T'aurais pû au moins l'achever. Connard de chat."

Je rentre dans la cuisine. L'horloge me toise. Je ferme les yeux, écoute la trotteuse courrir autour du cadrant. Une mouche entre dans la pièce. Elle slalome entre les lustres et se pose dans la casserole de lait. J'observe la mouche danser, engluée dans la crème, puis je descent à la cave. Je débouche un bouteille de vin. Je la liquide d'une traite, au goulot, brulant des photos de mon père au milieu du garage, assis sur le carrelage frais. Le téléphone sonne en haut. Je grimpe les escaliers quatre à quatre, et décroche le combiné. C'est ma soeur. Elle vient de se marier avec un certain Daniel, 33 ans, jeune cadre dynamique plein d'ambitions, distingué et ravissant.
"C'est très bien" je dis sans conviction, en arrosant un géranium.
D'après le timbre de sa voix, elle commence à me reprocher un certain nombre de choses, mais je n'y comprends rien car la grand-mère passe l'aspirateur autour de moi.

Je raccroche et m'interroge sur ce marriage avec Daniel. Ca ne me dis rien qui vaille. Je n'y étais pas il me semble. J'oublie vite cet incident en voyant la table recouverte de miettes de pain. J'essore l'éponge. Les miettes tombent dans le creux de ma main, la grand-mère se met à péter en médisant sur ces étrangers qui nous vole nos boulots.
"Qu'ils rentrent chez eux et nous foutent la paix."
Pris de spasmes, j'expulse une série de rots en bavant de l'encre de chine. Je l'éponge aussitôt et la déverse dans un encrier. Le soleil traverse la fenêtre de la cuisine. On sonne à la porte. En marchant vers l'entrée je croise mon visage dans le miroir du vestibule. Ma barbe est dégueulasse. Ses poils sont tâchés d'encre noire.

Lorsque j'arrive à l'entrée, un jeune homme se débat sur le seuil. La grand-mère, suspendue à son cou, a retroussé son tablier et frotte son con contre la jambe du plombier en herbe. Je remarque son fourgon garé devant la maison. En me voyant il hurle:
"Mais bon sang dites à cette folle d'arréter ça!"
"C'est votre problème mon vieux" je lui dis.
Le charmant garçon parvient à se libérer en décochant un coup de genoux dans le menton de la grand-mère. Elle se mord la lèvre, d'où émane des coulures de sang. Le plombier bondit dans sa fourgonette.
"Vous oubliez ça!" je lui crie en montrant sa caisse à outils restée sur le pas de la porte. Mais le bougre n'entend rien. Faisant jaillir le lave-vitre, il essaie à présent de déloger la grand-mère. Elle s'est mise à uriner sur son pare-brise, à califourchon sur le capot.
Il se met à pleuvoir. Je cours me mettre à l'abri. La mère bouquine son Rustica. Elle se balance sur le rocking-chair, crachant des rafales de morve mêlées de vers blancs. J'en prends plein la gueule. Vif comme l'éclair, je saisis un coussin sur le fauteuil et m'en sers de bouclier. Le tapis se gorge de sécrétion nasale visqueuse. Les vers gesticulent. Ils fourmillent, grimpent le long des murs.

On entend la voisine d'en face. La jeune Lucie. Elle fait ses gammes de violon. Sa mère machiavélique est debout à ses côtés, raide comme un piquet, sèche comme un arbre mort. Je les vois à travers les rideaux de leur bibliothèque. Ces gens là ont du pognon. Leur villa est immense. Lucie range son violon et empoigne un livre. Sa mère sort de la pièce. Je cours à l'étage et me poste à la fenêtre. D'ici j'ai une vue plongeante sur leurs chambres. La mère de Lucie se prépare à aller faire son footing matinal. Je la reluque. Elle enlève ses frusques et les pose sur le lit. Elle se ballade toute nue en cherchant sa tenue de sport. Ses gros seins se balancent, ses cuisses vibrent. Cette femme est belle. Sa maturité et sa rondeur font partie de son charme. Les bourlets sur son ventre tremblent quand elle marche. J'aimerai la voir courir. J'aimerai me blottir contre son corps, m'agripper à elle. Elle s'arrête devant le grand miroir et se contemple un moment. Je me masturbe énergiquement. Je jouis si fort que la mère de Lucie se tourne vers moi.

Je me lave, empoigne une bouteille de vin à la cave et sors tondre la pelouse. Je slalome entre les pommiers. Parfois je m'amuse à les percuter. Les lourdes pommes tombent dans l'herbe rase. Je trouve la grand-mère étalée dans ses salades.
"Va acheter deux baguettes s'il te plait" elle me dit. Je croise un garagiste en train de tabasser un handicapé en fauteuil roulant. La ville s'active. Des ouvriers retappent une vieille bicoque en pierre. Les éboueurs s'arrêtent devant chaque poubelle. Une personne âgée fait un malaise en traversant la rue. Elle s'évanouit. Je les interpelle, les éboueurs s'en emparent immédiatement. Ils la balancent dans la benne à ordures.
"Merci" ils me disent d'une seule voix.
En passant devant un mendiant avachit sur le trottoir, je me rend compte que j'ai oublié la monnaie pour le pain. Je me baisse pour évaluer sa quête. Il y a largement assez pour deux baguettes. Je saisis le chapeau et le vide dans le creux de ma main. Je poursuis ma route, coiffé d'un nouveau chapeau. L'horrible clochard grogne vaguement dans mon dos.
J'emboîte le pas d'un vieillard qui avance au ralenti armé d'un déambulateur. Il est extrèmement vouté. Lorsque je le dépasse je le reconnais.
"Bonjour Monsieur Morisset, comment ça va ce matin?"
C'était mon prof de mathématiques en 6ème. Un sadique. J'ai jamais pu blairer les chiffres. Monsieur Morisset a vieilli. Il a toujours ces grosses lunettes rouges à double foyer. Il me regarde de ses yeux globuleux sans me reconnaître. Il porte une casquette vissée sur son crâne tout plissé. Il tremble et marmone des choses. On n'y comprend rien. Il a la bouche pâteuse et le dentier qui se déchausse.

C'est drôle, les gens dans leur voiture ont tous des tronches de demeurés. Ils sont tous pressés, ont tous quelque chose d'important à faire. Deux filles commèrent devant une boutique de fringues. Elles dévisagent une immense dame à la gueule méprisante. Elle tient sous son bras un paquet d'habits couteux. Elle porte une grande robe et une large étole de fourrure arrachée à un phoque qui n'avait rien demandé à personne. Je déteste les aristocrates.
"Oh Julie, j'aimerai tant devenir une telle femme" chuchotte une des filles. Elles rient niaisement.
Des cris m'interpellent. Une fille balance les affaires de son copain par la fenêtre. Elles s'étallent sur la rue. Les voitures roulent dessus. Le type pleure. Moi j'me marre.
"Mais ma puce... attends! Tu peux pas me faire ça! Je t'aime!"
Classique.

Je continue mon chemin. Un attroupement de badauds s'est formé autour de l'homme au coeur brisé. Je croise une femme enceinte qui vomit dans un landeau, une bouteille de rhum à la main. Je m'arrête à le terrasse d'un café. Je commande un muscat. Une superbe fille est assise près de ma table. Lunettes noires au nez, elle porte une jupe blanche et un haut vert pomme. Sa franche brune et ses Converses rouges me font frémir. Quand elle sirote son orangina, un doux bruit s'échappe. Il fait beau. On n'entend pas le vacarme de la grande rue située de l'autre côté du bar. Des oiseaux chantent dans le saule pleurant au dessus de la rivière.
Je pourrais m'asseoir à ses cotés. J'ose pas. C'est toujours pareil. Je me concentre sur ses lèvres. J'ai une folle envie de les embrasser. Elle lit les cahiers du cinéma. Je ne sais pas si elle me voit derrière ses Wayfarer. Un bateau en papier flotte sur l'eau. Un chat longe la rive. Un couple de retraités se promène bras dessus bras dessous. Leur vieux chien les suit. Ils traversent en empruntant le petit pont. Il s'arrêtent au milieu, se déshabillent et sautent dans les flots. Leur cabot plonge a son tour.
"Elle est bonne venez!" ils lancent en choeur, agitant les bras dans ma direction.
Ils font quelques brasses, s'amusant à faire dépasser leur cul de l'eau en lachant des pets. Le vieil homme sort de l'eau ruisselant. Il arrive au café et secoue la tête en éclaboussant tout le monde. Dans un éclat de rire il pénètre dans le café.
"Patron, une bouteille d'absinthe et deux pailles s'il vous plait."

Je me lève. La jolie brune en Converses fait des bulles avec son chewing gum. Les bulles éclatent en me faisant vibrer. Je laisse tomber mon harmonica. Il attérit près de ses pieds.
"Oups, excusez moi."
Je me baisse pour le ramasser. Ses jambes ont l'air si douces. En me relevant je lui effleure le bras. Je frissonne.
"Vous en jouez?"
Ses lunettes noires m'intimident. Je bafouille. "Euh...oui, enfin, un peu." Elle m'offre l'un des plus beaux sourire qu'on m'a jamais offert. Je tente maladroitement de le lui rendre. Je dois plutôt avoir l'air constipé.
"Ah le blues... les racines de la musique. J'adore."
Puis elle replonge dans les cahiers. Je reste planté à côté d'elle comme un ahuri.
"A bientôt mademoiselle" je finis par sortir.
J'entre dans le café. La chaine joue un disque des Pogues. Le patron est occupé à accrocher une photo de Jacques Tati sur le mur du fond. D'autres photos en noir et blanc figurent déjà sur les murs. Hitchcock, Michel Simon, Charlot, Jeanne Moreau, Gabin, Godard, Cary Grant,... y'a aussi des assiettes en faïence Henriot et une chouette peinture des Monts d'Arré. Un type est accroupi près des chiottes. Il installe un flipper. Un ancien lit son journal au comptoir, un mégot au coin des lèvres. Chaque fois qu'il tourne une page de ses doigts jaunis, il avale une lampée de vin rouge, du bout de ses lèvres violettes. Un facteur est étalé à une table couverte de gerbe, ivre mort. Il a le froc baissé et la queue dans une main. J'entre dans les WC. Je m'assieds sur le trône. Il ya des tampons usagés collés sur le sol. Une araignée est immobile dans sa toile. Je la réveille en lui soufflant dessus et elle se met à courir. Elle passe sous la porte. Je pousse de toutes mes forces et parviens à lâcher une belle merde. L'eau pleine de pisse éclabousse mes fesses. Je lis quelques inscriptions gravées sur la porte et tire la chasse.

Quand je sors du café, il n'y a plus que les retraités à poil sur la terrasse. Ils sirottent leur absinthe dans un boucant extraordinaire. La jolie brune en Converses à foutu le camp. Elle a laissé son magazine. Je le prends et le reniffle. J'y extrais des bribes de son odeur corporelle. Je m'en vais sans payer. Le clocher sonne midi. Je marche vers la boulangerie. Un bateau à moteur pétarade sur la rivière piloté par un ours brun, suivit d'un cheval qui fait du ski nautique. L'engin remue les flots en creusant des sillons de vagues qui viennent clapoter contre la berge. Un oisillon émet des petits cris presque inaudibles. Etalé sur le trottoir, il ne semble plus pouvoir voler. Il doit souffrir. Une larme dégouline le long de ma joue. Ses yeux minuscules me fixent. Je ferme les miens et presse le pas, une boulle au ventre. Je ne suis qu'un pauvre lâche.

Je passe devant une fenêtre ouverte. Une famille est à table. Les couverts cognent contre les assiettes. Le père tape du poing sur le poste.
"Télé de merde!
-Il doit encore y avoir des souris dans le grenier" lui dit sa femme.
Je longe un parc municipal. Etendus dans l'herbe, un jeune couple pique-nique sur une nappe à carreaux rouges et noirs. Les canards viennent manger les miettes. Assise sur un banc, une mamie s'est endormie sur son tricot. Un livreur de pizzas coupe par le parc. Il fonce en défonçant les pelouses. Une laisse est coincée dans la roue arrière de sa mobilette. Il traîne un caniche qui couine. Le livreur n'entend rien sous son casque.
Je traverse la rue et arrive enfin à la boulangerie. Un Pitt Bull se dresse sur les pattes arrières et plonge la tête dans une poussette garée devant la vitrine. Le bébé chiale au départ. Puis plus rien. On entend des bruits atroces. Le molosse ressort sa tête couverte de sang et s'en va en se lèchant les babines. Un brouhaha provient de la boulangerie. J'entre. Il y a foule. Je bouscule les gens sans préter attention aux plaintes qu'on m'adresse. Tout le monde est tendu. Certains se battent. J'ai l'impression d'entrer dans un pub irlandais bondé de marins qui viennent d'accoster. J'enfonce mes doigts dans les yeux d'un comptable et parvient à atteindre la caisse. La boulangère, les seins à l'air, allaite ses triplés.
"Deux baguettes s'il vous plaît."
Pas de réponse. Elle ne me regarde même pas. J'enjambe le comptoir et vais me servir. Je saisis un croissant en prime pour le chemin du retour. Je m'échappe par l'arrière boutique.
Une petite fille pleure car son ballon rouge s'est envolé. Je le vois plus haut. Il monte vers les nuages. Je vais chercher une sucette dans la boulangerie.
"Tiens fillette."
Son visage s'illumine. Elle déballe la sucette et s'empresse de l'enfoncer dans sa petite bouche. Je me mets à courir en mangeant mon croissant.

Quand j'arrive chez la grand-mère, deux hommes sortent de la maison en transportant le téléviseur du salon. Je leur demande ce qu'ils fabriquent.
"Nous sommes huissiers de justice monsieur, laissez nous travailler." Ils s'en vont. Je vais prendre le courrier en sifflant. J'extrais les lettres en chassant les cloportes de la boîte. Je les écrase d'un coup de talon quand ils tombent sur le bitume. Les cahiers du cinéma me faussent compagnie et s'étalent sur les cloportes. En le ramassant, un billet s'échappe du magazine que j'avais plié dans ma poche arrière. Un numéro de téléphone figure sur le billet, accompagné d'un petit mot:
Pour converser autour du blues...

J'entre dans la maison. Mon coeur ne bat plus, ça sent la soupe aux poireaux.

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Commentaires
I
eh ben... ça valait l'détour.<br /> sacrée histoire avant de s'endormir!
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